Le Chantier : privilège des architectes


En 2021, Ateliers 2/3/4/ créé Atelier MOeX, une structure dédiée à la maîtrise d’œuvre d’exécution, réponse opérationnelle à un contexte professionnel, économique, social, technique, règlementaire…

Cette nouvelle entité est portée par les associés d’Ateliers 2/3/4/ et par Camille Bonfils, architecte HMONP, qui consacre sa pratique au chantier depuis plusieurs années.

Dans cet article, elle interroge le rôle de l’architecte dans la phase de réalisation d’un projet, de la formation à l’expérience.

La pratique de notre métier évolue vite. Plus vite que la formation, plus vite que notre fonction dans sa définition officielle, plus vite que nos cadres professionnels. Car la pratique se transforme à la vitesse de son contexte, qu’il soit économique, politique, philosophique, social, environnemental…. Et la liste n’est pas exhaustive.

Or, cette profession transversale semble pourtant déjà saturée, enrichie certes mais aussi saturée des champs qu’elle englobe, des apprentissages qu’elle exige. En outre, la formation, trop courte pour être concrètement professionnalisante, impose que le métier s’apprenne aussi et surtout durant les années de vie professionnelle. Ces années dessinent doucement les spécialisations de chacun, et décident des approfondissements de savoirs théoriques.

Parmi les expériences théorisées durant la formation, mises en application puis apprivoisées au cours de la pratique d’un architecte, il y a celle du chantier. Cette phase du projet pourrait être un aboutissement plus qu’une étape, tant il est parfois compliqué d’arriver jusque-là. Aussi, il n’est pas rare de rencontrer des architectes ayant parfois 5 à 10 ans de métier, et cela sans jamais avoir revêtu une chasuble fluo ou un casque.

Cet état des lieux n’est pas surprenant, il est le résultat d’une convergence de phénomènes : un hachage dans les formes de la mission de l’architecte, une complexification pas toujours justifiée de la phase chantier, une formation incomplète (quoi que déjà saturée) sur le sujet du suivi d’exécution, une restructuration incontournable de nos pratiques compte tenu de l’environnement décrit.

C’est toutefois un constat d’une situation inepte, et le fait de remettre en question ce rôle structurant de l’architecte durant la réalisation d’un ouvrage reviendrait à entériner un principe absurde : l’architecte maitre d’œuvre ne pourrait donc plus s’engager sur la qualité d’un projet au-delà des phases de conception ? Il en va pourtant de la qualité architecturale, de la qualité d’usage, du sens, de l’intégrité et des fondamentaux du projet. Qui mieux placé que l’architecte pour défendre tout cela ? Et si cette capacité est mise en doute, alors c’est la profession qui doit se concerter, se questionner, se mettre en ordre de marche pour rétablir et restaurer cette faculté.

 

Apprendre pour construire

La formation a connu bien des chamboulements au cours des dernières décennies. D’abord technique, puis artistique, comme s’il était utile de marquer la différence, elle a continué de se transformer jusqu’à ce que le saint graal DPLG disparaisse, enseveli par la réforme LMD comme par une vague lisse qui appauvrit autant qu’elle harmonise. C’est le début de règne de la HMONP. La réforme était alors nécessaire pour permettre à la formation, et donc au métier, de continuer de s’inscrire dans son époque.

Le sujet au cœur de la présente réflexion n’est pas la formation dans son ensemble, mais bien l’initiation et la familiarisation avec le chantier durant le parcours étudiant des architectes. Il y’a bien à la fin de la licence, un stage de chantier. Il y a bien des cours et ateliers dédiés aux acquisitions techniques, supposés outiller les futurs professionnels dans leurs démarches conceptrices comme en suivi d’exécution. Il est pourtant évident qu’aucun architecte n’est réellement « armé » pour l’exercice du chantier, sûrement parce que le sujet reste désincarné, ce jusqu’à la sortie de l’école, et malgré les initiatives prises pour palier cela. Force est d’admettre que, sur ce thème comme pour d’autres, l’expérience ne se transmet pas (ou difficilement) : il semble que seule l’expérience vécue sera à même d’inculquer les compétences nécessaires à l’architecte maitre d’œuvre d’exécution. Cela semble d’autant plus évident qu’une qualité indéniable de l’architecte maitre d’œuvre d’exécution est de connaitre les métiers et compétences dont il doit impérativement s’entourer. Cela ne s’apprend pas à l’école.

La formation s’est adaptée, et permet aux architectes en cours d’instruction de bénéficier d’un stage ou contrat court, pendant lequel ils ont la possibilité de participer à un suivi de chantier. Mais il y a fort à parier que cette expérience sera « contemporaine », c’est à dire : contrats déconstruits, économie économe, industries endolories… Difficile de promettre que cette expérience soit un enrichissement, et ce même dans la structure la plus « structurée ». Il faut aussi garantir un bon encadrement, pour cela les entreprises d’architecture doivent s’organiser pour accueillir stagiaire et jeune recrue dans les conditions idoines, en leur consacrant un temps nécessaire de transmission de savoirs. Tétris démultiplié.

Toujours plus de critères à satisfaire ! Aussi peut on se demander si la formation sait encore répondre à toutes ces exigences. Est-ce que le cursus dans son état actuel permet cet accompagnement ? Est-ce que sa transformation récente a su répondre au besoin grandissant de se pourvoir de moyens plus efficaces, pertinents, adaptés aux problématiques actuelles du chantier ? Est-ce que la formation est suffisamment résiliente pour continuer de s’adapter à cet environnement changeant ?

Dessiner pour construire

La mission de base de l’architecte au sens de la loi MOP, aussi connue sous le nom de mission complète, englobe toutes les phases de la conception, du suivi de la réalisation des travaux, jusqu’à la réception / livraison du projet. Le suivi de l’exécution est intrinsèquement lié à la conception.

La compétence de l’architecte maitre d’œuvre d’exécution est technique mais pas strictement. Il doit être sachant, mais avant tout agile : à la croisée des chemins, il collecte et synthétise, cela grâce à une vision transversale qui est un des fondamentaux du métier. Cette habileté est un marqueur de singularité. De toutes les professions qui contribuent au projet architectural, il y a les spécialistes qui ont cette capacité à focaliser et écrire chacun leur propre partition, et il y a l’architecte, qui tout en écrivant la sienne, et enfile son frac de chef d’orchestre pour harmoniser l’ensemble.

Aussi inconfortable, ingrate, incompréhensible, déstabilisante soit cette phase du chantier, elle n’en demeure pas moins l’aboutissement, l’objectif, l’objet même du travail engagé dans sa genèse : on dessine pour construire. Et l’on devrait pouvoir dire à l’inverse, fort de cette expérience, que l’on construit aussi pour « mieux » dessiner. C’est cette histoire idéalisée qu’il faudrait pouvoir concrétiser : un cadre professionnel, contractuel, économique, technique qui permette à tous d’opérer durant toutes les phases du projet, chantier compris, sans interruption.

L’évolution de la loi sur l’Architecture, telle que son actualisation a été présentée récemment à la profession, indique qu’un architecte devrait pouvoir « reconnaitre » un projet, comme on reconnait un enfant à la naissance. C’est la fameuse conformité architecturale. La Loi LCAP impose également aux architectes depuis juillet 2017 d’apposer leur nom sur les bâtiments qu’ils ont conçus. Il serait donc désormais convenu que l’on doit reconnaitre un projet alors même que l’on ne participe pas à sa réalisation. Evidement que cette conformité, qui constitue une part entière de notre mission, est un incontournable ; évidement que la rétrogradation opérée par les architectes sur les chantiers est une conséquence de nos pratiques professionnelles conjointes, et pas simplement une punition absconse et subie. C’est entre autres cette pater.mater.nité du projet qui pousse l’architecte maître d’œuvre d’exécution à le défendre bec et ongles. C’est l’engagement pris à l’origine qui donne l’énergie et la persévérance qu’il faut parfois, souvent, toujours pour atteindre tout (ou partie) des objectifs fixés en amont. Et si le maitre d’œuvre d’exécution n’est pas le concepteur, c’est l’engagement dans l’appartenance à une profession, un ordre, une philosophie, qui permet ce même niveau d’engagement. La reconnaissance assumée entre confrères est un moteur, quoi qu’en disent ceux qui préfèrent s’aimer (ou pas) en silence.

Une difficulté notable pour l’architecte maitre d’œuvre d’exécution est sans doute de définir la bonne façon (propre à chacun) de mettre à disposition cette énergie et cette persévérance : toujours investi, assidu, parfois sachant, tantôt expérimenté, de préférence organisé, très ou trop zélé. La tendance récente de la profession est de « structurer » tant que possible ce travail, et ainsi de mieux comprendre et façonner son organisation : quel effectif, quelle durée, cadence, compétences, coûut, groupements, formations… Au même titre que la culture du projet, celle du chantier doit s’inscrire dans nos pratiques, se transmettre et se partager. Il faut donc encourager ce phénomène : les architectes maitres d’œuvre d’exécution sont avant tout des architectes, comme d’autres se spécialisent dans l’hospitalier, le logement, l’ouvrage d’art…

 

Aimer construire

Que faire de tout cela ? Quelle(s) conclusion(s) doit-on tirer ? Quelle(s) action(s) mener ? Faut-il sauter dans un train législatif, règlementaire et déontologique qui s’emballe ? Faut-il recharger notre propre locomotive (en matériaux écologiques, biosourcés, de circuits courts) pour maintenir notre élan ?

Permettre à l’architecte de retrouver son entière légitimité de maitre d’œuvre d’exécution est une course de fond. Aussi pour s’en assurer faut-il bouleverser nos pratiques ? Faut-il les adapter de façon plus chirurgicale ? Décortiquer chacune de nos actions, les enrober du principe de précaution (puisqu’il faut en prendre toujours plus) ?

A défaut de répondre à chacune de ces questions, j’aime à penser qu’il existe dans l’acte de bâtir, ou d’assister l’édification d’un ouvrage, une logique qui transcende. Tous les acteurs du projet devraient converger, même par des routes tortueuses, vers le même objectif. L’ironie de cette expérience est qu’elle est récompensée par l’« amnésie » du chantier lui-même : la gratitude est bien là lorsqu’on arrête de se demander « comment » cela a été possible. C’est un privilège de connaitre et recevoir cette gratitude.

Notre responsabilité d’architecte aujourd’hui est, entre autres, de rappeler que le chantier, plus qu’une prérogative, est un incontournable pour la profession et plus particulièrement pour le projet lui-même. Le rôle du législateur, face à cet impératif, est de protéger cette profession, ainsi que les engagements pris par les architectes dès le premier coup de crayon et jusqu’au dernier coup de pelle. La contrepartie réside probablement dans une promesse que la profession peut faire : montrer qu’elle est capable.

 

On construit

En 2021, je rencontre les Nouveaux Associés Ateliers 2/3/4/ : appuyés par les fondateurs de l’agence, ils ont un projet depuis plusieurs années, motivés par un contexte et une actualité, ils veulent faire évoluer leur structure concernant le suivi d’exécution. Comme beaucoup d’architectes, ils ont constaté que les pratiques des acteurs du projet, et plus précisément des maitrises d’ouvrage, d’abord privées puis publiques, tendent à faire du chantier une phase « à part ». L’agence a toujours suivi ses projets jusqu’à la réception, et entend continuer ainsi.

Lorsque les associés A234 me font part de leurs ambitions et de leurs questionnements, la conclusion s’impose : il faut fabriquer ensemble une nouvelle façon de faire. Une bonne façon pour l’agence, son histoire, ses fondateurs, ses associés ; une bonne façon pour les architectes collaborateurs, leur vision, leur investissement et implication ; une bonne façon pour les projets, actuels et futurs ; une bonne façon pour notre profession, en un mot, une bonne façon pour l’architecture..

C’est dans ce contexte que nous avons créé l’Atelier MOeX, entité dédiée à la maitrise d’œuvre d’exécution par et pour les architectes. Celle-ci se consacre au suivi des chantiers de l’agence Ateliers 2/3/4/, ainsi qu’au suivi de projets « d’ailleurs », que ce soit par le biais des confrères, des maitrises d’ouvrage, des AMO, MOD, etc….

Camille Bonfils

Architecte Maitre d’œuvre d’Exécution Associée AMOeX

Diplômée de l’ENSAAMA Olivier de Serres et de l’ENSA Paris Val de Seine, enseignante à l’ENSAAMA en parallèle de sa pratique professionnelle, Camille Bonfils a choisi il y a 8 ans de se spécialiser en maitrise d’œuvre d’exécution, d’abord par opportunité, puis rapidement par conviction, appétence et affinité.

 

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